Comment marier la structure d’ITIL avec la souplesse d’Agile pour optimiser la gestion des services IT ? Pascal Bouthillon, expert en ITIL, nous partage sa vision sur cette alliance stratégique. Découvrez ses conseils, ses retours d’expérience et les clés pour tirer parti de ces deux méthodologies dans un environnement IT en constante évolution.
Pouvez-vous expliquer en quoi ITIL et Agile sont complémentaires dans la gestion moderne des services IT ? Et pourquoi cette alliance est essentielle dans l’environnement IT actuel ?
Pour comprendre la gestion moderne des services IT et en quoi l’alliance d’ITIL et d’Agile est essentielle aujourd’hui, il convient de faire un peu d’histoire.
ITIL est une proposition d’organisation d’une entité informatique. Il existe depuis les années 90, est reconnue mondialement depuis les années 2000 (V2) et est aujourd’hui appliquée par la quasi-totalité des entités IT. ITIL est un socle commun à toutes ces entités qui ont pourtant des besoins très différents. Comme exemples différenciateurs, on pourrait prendre un indépendant du secteur de l’informatique, un département IT du secteur public et une société de services informatique qui vend des services et des produits IT.
Depuis les années 2000, chacune de ces entités s’est organisée pour être le plus efficace et efficient possible en adoptant et adaptant plus ou moins les propositions des différentes versions d’ITIL.
Chaque version d’ITIL était adaptée à l’évolution de l’informatique et des besoins des clients :
- V2 (2000) – Passer du mode artisanal au mode industriel (s’organiser à l’aide de processus…)
- V3 (2007/2011) – Amélioration continue et nécessité d’adaptation pour rester aligné aux besoins des clients (Cycle de vie des services).
- V4 (2019) – Intégration de DevOps et Lean IT pour être plus agile et permettre d’améliorer la résilience.
Agile, pour l’IT nait en 2001 avec la signature du manifeste pour le développement logiciel. L’Agilité va murir progressivement jusqu’à nos jours et proposer une alternative à la gestion de projet traditionnelle notamment dans le domaine des projets d’amélioration des produits et des services informatiques.
Dans ce cadre, l’agilité permet aux développeurs d’application de travailler main dans la main avec les clients/métiers et d’être plus réactifs en avançant pas à pas et en proposant un développement et un déploiement incrémental de versions légères successives plutôt que d’attendre longtemps la finalisation d’une version unique et définitive.
Jusque dans les années 2010, les projets informatiques agiles sont alléchants et commencent à être utilisés mais se heurtent à une infrastructure de déploiement dont l’objectif est de stabiliser la production et n’ayant pas la capacité technologique de déployer trop souvent sans mettre à risque cette stabilité.
A partir des années 2015, les technologies évoluent et DevOps s’impose comme la solution pour permettre de faire du déploiement continue.
A partir de là, il n’y a plus de frein et ITIL peut intégrer l’agilité des projets et les technologies portées par DevOps pour proposer une organisation IT qui va pouvoir évoluer vers de plus en plus d’agilité.
Ceci est fait avec l’édition 4 d’ITIL qui arrive en 2019. ITIL 4 tombe à point nommé car les entreprises IT ou non ont de plus en plus besoin de travailler sur leur capacité d’adaptation et de résilience et l’agilité de l’informatique est un des domaines permettant d’améliorer cette adaptation et cette résilience.
Quels sont les domaines d’ITIL qui bénéficient le plus des principes agiles ?
Dans son édition 4, ITIL recense 34 pratiques.
Ces pratiques regroupent des méthodes comme la gestion de projet, des processus comme la gestion des incidents, l’habilitation des changements, l’amélioration continue… et des équipes du centre de services. Elles sont considérées comme les « bonnes » pratiques qui ont été mises en place dans toutes les entités IT depuis les années 1990.
On pourrait définir l’agilité comme : une capacité nécessaire pour se montrer suffisamment réactif vis à vis des métiers et ainsi améliorer l’efficacité et la résilience de l’entreprise notamment face à la concurrence.
La première réponse à cette question est que toutes les pratiques peuvent bénéficier de l’agilité. L’agilité étant une capacité, cela dépend des besoins des métiers ou des clients.
Globalement, on peut quand même isoler des pratiques qui vont certainement beaucoup bénéficier ou être très impactées par l’agilité :
- Les méthodes de gestion de projet
- L’infrastructure (adoption de nouvelles technologies) et la gestion des
- déploiement
- L’amélioration continue (Lean-IT)
- La gestion des changements organisationnels (culture agile)
- L’habilitation des changements (décentralisation, liée au point précédent)
- …
Comment les organisations peuvent-elles adapter ITIL pour le rendre compatible avec des approches agiles ?
En fonction de ses activités, de ses clients, de ses objectifs donc de l’environnement dans lequel elle évolue, chaque entité IT a des besoins très différents. Ces entités sont au service de leurs clients ou des utilisateurs en interne. De ce fait, leur besoin d’agilité dépend du domaine d’activité des entreprises métiers.
Il n’y a donc pas une réponse unique pour cette question mais autant de réponses que d’environnement de travail des entités IT.
Pour certaines DSI dont l’entreprise n’est pas soumise à une concurrence agressive mais a besoin de sécurité et de stabilité il peut être logique de rester sur les fondamentaux de la V2 ou V3 tout en commençant à utiliser les méthodes de projet agile et commencer doucement à faire évoluer la culture de l’entreprise
A l’inverse, comme par exemple pour les banques qui évoluent dans un environnement concurrentiel et qui ont besoin de se montrer réactive par rapport à leurs clients, l’adoption d’ITIL édition 4 sera nécessaire. Il ne s’agit pas de tout transformer d’un seul coup, mais plutôt de commencer par mettre en place des plateformes DevOps pour travailler de manière agile et effectuer des déploiements incrémentaux, en se concentrant sur les éléments qui nécessitent une grande réactivité.
Les banques sont un bon exemple de cette transformation progressive. En effet, elles ont gardé leur gros systèmes type AS400 qui nécessitent et apportent de la stabilité tout en créant des chaînes de développement et de déploiement à haute technologie DevOps pour gérer par exemple les interfaces applicatives utilisateurs.
D’autres sociétés telles que les Startups, les hébergeurs, les éditeurs logiciels utilisent déjà depuis plusieurs années les concepts d’ITIL édition 4 et DevOps.
En matière de gestion des incidents ou des changements, comment concilier les principes d’Agile avec les processus établis d’ITIL ?
Pour la gestion des Incidents, il est nécessaire de connaître le métier des utilisateurs : pourquoi et comment ils utilisent les services que l’on supporte. Il y a globalement moins de « dette technique » des utilisateurs et les techniciens du support doivent aider les utilisateurs dans l’utilisation des services pour leur métier afin de maximiser la valeur apportée par ces services.
Utiliser les nouvelles technologies (IA, chatbots, self-service) peut aider à l’amélioration du support client pour créer, par exemple, une meilleure collaboration.
Quant à l’habilitation des changements, elle passe par une décentralisation et une responsabilisation des équipes, favorisant une culture agile et une organisation moins verticale, éloignée du modèle « Command & Control ». Impliquer des utilisateurs clés en tant qu’« ambassadeurs » permet de collaborer quotidiennement sur l’évolution des services informatiques, assurant une adoption fluide et une meilleure adéquation avec les besoins opérationnels.
Quels bénéfices observables cette complémentarité peut-elle apporter aux utilisateurs finaux ?
Une meilleure collaboration et intégration des équipes IT / métiers conduisent à moins de guerres de chapelles, moins de silos et donc une meilleure efficacité pour tous.
Pour les utilisateurs les bénéfices sont divers :
- Des services plus adaptés aux besoins car ils sont réalisés pas à pas ensemble ;
- Des déploiements plus fréquents qui apportent des bénéfices métiers plus fréquent également ;
- Des corrections de bug beaucoup plus rapides qui améliorent ainsi les bénéfices métiers ;
- Une amélioration de l’innovation qui mène à moins de risques vis-à-vis de la concurrence ;
- Des gains de productivité et globalement une valeur apportée par les services IT nettement améliorés.
Quels conseils donneriez-vous à une organisation qui souhaite intégrer ITIL et Agile dans ses processus ?
Je conseillerais de mener une étude préalable pour connaître la maturité des équipes et des technologies par rapport à ce souhait.
Voici quelques domaines à considérer :
- La culture agile de l’entreprise ;
- La gouvernance de l’entreprise (très verticale et « Command & Control » ou décentralisée plus horizontale avec des équipes responsabilisées) ;
- Les technologies utilisées en matière d’infrastructure informatique et les technologies de nos fournisseurs ;
- Les techniques de développement ou celles de nos fournisseurs ;
- Nos méthodes de projet ;
- Notre compétence Agile / DevOps.
Je conseillerais également d’utiliser les techniques de gestion des risques et de business case pour bien analyser quels projets lancer et leur organisation ; de repartir de l’existant et avancer pas à pas car une révolution soudaine pourrait générer du chaos.
Ce sera un programme long, complexe et coûteux mais qui peut s’avérer nécessaire (voire obligatoire) et très bénéfiques pour toute l’entreprise.
En termes de compétences, que doivent apprendre les professionnels IT pour naviguer efficacement entre ces deux méthodologies ?
Au travers des précédentes questions, vous avez sans doute compris que les projets d’intégration agile dans ITIL ne reposent pas uniquement sur des transformations techniques.
Les changements organisationnels devront être réalisés conjointement avec le département RH de l’entreprise et l’ensemble du personnel de l’entreprise. Ces réorganisations devront être soutenues par de la conduite du changement et sensibilisation à la culture agile.
Ces changements seront longs car ils passeront par des changements progressifs des comportements de chacun pour parvenir petit à petit à faire évoluer la culture de l’entreprise.
Les formations Agiles générales, ITIL édition 4, de conduite du changement peuvent aider dans ce cadre.
En terme de gestion de projet, des formations type AgilePM, Scrum, SAFe, PRINCE2 Agile en fonction du contexte de départ peuvent aider à modifier les comportements et usages des chefs de projet.
En termes d’infrastructure et de développement logiciel, ITIL édition 4 et DevOps seront très profitables ainsi que des formations techniques à ces nouvelles technologies.