Quelle est votre fonction actuelle et quelles sont vos missions ?
Je suis actuellement directeur de Change Factory, un laboratoire d’acculturation qui accompagne les grands groupes, les organisations et toutes les entreprises qui souhaitent se transformer, digitalement mais principalement culturellement, puisque toute transformation est avant tout culturelle !
Notre mission principale est d’accompagner ces entités dans la mise en oeuvre de leurs transformations. Nous les aidons à mieux se préparer pour affronter le travail de demain et se poser les bonnes questions sur leur efficacité et leur pérennité. Comment se positionner ? Comment mieux travailler demain ? Quel est le futur du travail et dans quel monde allons nous travailler (crise sanitaire ou hors crise sanitaire) ? Comment pouvons- nous mieux comprendre les nouvelles générations, mieux comprendre les nouvelles méthodologies et les habitudes de consommation de ces nouvelles générations ? Que veulent les collaborateurs ? De quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’expérience collaborateur ? Nous travaillons beaucoup sur les notions d’engagement, d’apprentissage et de compétences pour demain. Comment préparer sa force de travail et ses collaborateurs à appréhender demain, tant du point de vue de l’entreprise que de l’individu ?
Comment êtes-vous arrivé à effectuer une carrière en gestion des ressources humaines ? Quel a été votre parcours ?
J’ai suivi une formation d’ingénieur avec une spécialisation en gestion de projet et en finance, que j’ai complétée par la suite avec un master en finance. J’ai commencé à travailler pour le groupe Air Liquide, où je suis resté onze ans dont 5 ans à l’étranger. J’ai travaillé dans un premier temps sur des notions d’ingénierie et d’efficacité industrielle, puis sur des fonctions financières, contrôle d’investissement et contrôle de gestion. J’ai ensuite évolué sur des problématiques RH à savoir quelles sont les nouvelles formes de ressources humaines, de formation, de recrutement. Quel est l’impact des plateformes sociales et mobiles ? Quelles sont les nouvelles compétences pour être plus efficace dans un monde en mutation ? Puis, après mon départ, j’ai pris la tête d’une agence digitale spécialisée dans les plateformes sociales et mobiles, notamment avec un focus particulier sur l’entertainment, le service public et les RH. Dès lors je me suis intéressé en particulier aux notions de marque employeur, de symétrie entre l’expérience client et l’expérience collaborateur. Pour finir, j’ai créé, il y a 8 ans, Change Factory, avec mon associé, pour travailler spécifiquement sur les notions d’acculturation, de transformation culturelle et d’accompagnement. En parallèle, je suis maître de conférences associé à la Sorbonne où je continue d’explorer les mêmes problématiques rencontrées sur le terrain via une modélisation universitaire. C’est principalement cette double casquette qui fait que l’on est contacté par les comités exécutifs et les directions des ressources humaines pour accompagner au mieux l’entreprise dans l’entièreté de sa transformation.
Quels sont les principaux challenges des RH en cette période de pandémie ?
Il est intéressant de voir, à travers ce qui se passe en ce moment, que la crise sanitaire actuelle sert de catalyseur à toutes les notions de transformation. Nous avons pu observer que le confinement a poussé les entreprises à réfléchir sur le télétravail. Le fait est que le télétravail est un peu comme un symptôme, c’est ce que l’on voit, mais en réalité ce n’est pas tant le télétravail mais plutôt tout ce que cela implique en termes des processus derrière. Cela implique de réfléchir sur comment les individus peuvent justement travailler, quelles sont les chaînes hiérarchiques, quelles sont les chaînes d’informations, comment peut-on recruter à distance, comment peut-on former à distance. En se posant la question du télétravail, c’est l’intégralité du travail à distance et de la structuration de l’entreprise qui peuvent être discutées, ainsi que la valeur des fonctions. Qu’est-ce qui est vraiment important, qu’est-ce qu’on a négligé, qu’est-ce qu’on n’a pas négligé, est-ce que tout est documenté, est-ce que tout est très clair pour les nouveaux arrivants. J’insiste avec l’image de l’iceberg : 20% de l’iceberg sont visibles à la surface de l’eau mais la partie immergée représente 80%. Quand on parle du télétravail, on parle beaucoup de ce qu’il y a au-dessus de l’eau, ce que l’on voit mais dans les faits, c’est tout ce que cela remet en cause en termes de processus, procédures, méthodologies, chaîne de valeur, qu’il y a en dessous de l’eau. C’est là qu’il est important pour les départements RH, de mettre à plat toute cette façon de fonctionner.
Je pourrais également parler de la partie infrastructure. Les salariés se sont certainement posé la question de savoir si leur entreprise était correctement outillée pour faire face à cette crise sanitaire. On parle de sécurité, d’outil distanciel, de partage de document, partage de validation et tout cela permet de voir si l’entreprise était prête et avait un plan de continuité de l’activité (PCA). Est-ce qu’à un moment l’entreprise et donc les RH et le comité exécutif, se sont demandés ce qu’ils feraient s’il se passait quelque chose ? On se rend malheureusement compte que beaucoup d’entreprises n’étaient pas prêtes à changer la donne.
Le troisième challenge, selon moi, est de permettre à l’entreprise de continuer d’évoluer dans sa stratégie. Les ressources humaines doivent continuer de former, de monter en compétences les équipes et du coup de se poser la question : Comment puis-je accompagner au mieux mes collaborateurs, sachant que je ne partage plus d’espace physique avec eux ?
Un autre point concerne bien évidemment les collaborateurs dans leur entièreté. Dois-je m’inquiéter de leur motivation, bien-être et santé mentale ? Est-ce que tout le monde est capable de rester 4 semaines ou plus confiné ? Comment vivent-ils la situation ? Quelles ont été leurs réactions et comment l’entreprise apporte une solution à tout cela ?
Quel est l’impact de cette pandémie sur la transformation ?
Pour moi l’impact c’est une accélération de la distanciation et de la digitalisation. Comment une entreprise peut travailler complètement à distance ? Qu’est-ce qui est possible ? Qu’est-ce qui reste ? Qu’est-ce qui ne reste pas ? Comment peut-on justement remettre en cause une partie des organisations, du travail et du coup se poser la question de la valeur des moments de travail ? Auparavant, nous rigolions de certaines réunions, jugées inutiles. La pandémie a permis de dire que la plupart des réunions sont inutiles et ce qui est intéressant c’est de voir comment on les transforme et comment on arrive à faire des choses autrement. Idem pour la formation. Le tout n’est pas de continuer de former des gens de la même manière qu’ils étaient formés avant, avec un sachant qui délivrait 4 à 6 heures de formation, de connaissances envers un public qui écoutait. Là on est obligé de réfléchir à comment la personne peut se connecter, à quel moment est-elle libre, que peut-elle faire en autonomie, à distance, sans intervention humaine, en face à face en live avec le sachant… On a une redéfinition des différents moments et des besoins.
Comment gérer une telle crise, avez-vous des conseils à partager avec les professionnels de la communauté ?
Chaque RH est indépendant et les entreprises toutes différentes, cependant, il est clair qu’on ne peut pas jouer avec les mêmes cartes. Il est important d’aménager l’espace de travail (physique, virtuel,..) pour faciliter et fluidifier le travail des collaborateurs.
Mon premier conseil, est de dire : il est possible de tout faire à distance. Il faut réfléchir et repenser pour le distanciel, les différents processus. Bien sûr qu’on peut continuer à recruter à distance, à faire monter en compétences les équipes, à former des gens.
Ensuite le deuxième conseil est de prendre l’individu, le collaborateur dans son entièreté. Ne négligeons pas l’impact émotionnel du confinement ou de cette crise sanitaire sur les individus. Penser qu’on peut reproduire la même chose que ce qu’il y avait avant est illusoire. Par conséquent, il est vraiment important que les personnes, les RH ou la direction d’entreprise en prennent conscience.
Le dernier conseil, c’est un peu tard mais réfléchir sur un plan de continuité de l’activité, de façon à pouvoir anticiper. Le but de cette anticipation n’est pas forcément tout voir en noir, mais de pouvoir anticiper ce qu’il se passe, ce qui peut être mis en place lorsque tout le monde est bloqué chez soi.
Aujourd’hui on voit bien que la partie formation a été négligée. Les entreprises sont parties en disant on boucle tout et on verra après. Je reste persuadé que ce n’est pas une bonne chose de couper la formation. C’est le moment idéal de réfléchir sur le plan de continuité des collaborateurs et tout ce qui est “people review”. Qui va prendre la place de qui en cas de problème ? C’est le moment de remettre à plat ses référentiels de compétences. On s’aperçoit que des compétences comme l’autonomie ou la résilience ou d’autres sujets sont vraiment importants et à prendre en compte.
Que pensez-vous de la formation en période de confinement ?
Je pense qu’il faut maintenir une certaine forme de formation et continuer à former. Il y a des sujets qui doivent être appréhendés, pas forcément au niveau “hard skills”, mais également et surtout au niveau “soft skills”, comme par exemple travailler à distance. Comment effectuer un feedback à distance ? Que signifie être agile dans une méthodologie en distanciel ? Comment pouvoir échanger ? Comment repenser les réunions et les circuits de validations. Cela ne s’improvise pas et la formation est idéale pour combler les interrogations des collaborateurs et les rassurer. C’est un moment opportun pour penser et bien regarder les référentiels de compétences puisque du coup ce qui ressort de cette crise sanitaire à laquelle nous n’étions pas préparés, c’est que les entreprises non plus n’étaient pas prêtes.
La question qui se pose alors est : de quelles compétences vais-je avoir besoin demain pour rebondir et assurer potentiellement la croissance de ma société sachant que rien ne me prouve que cette crise sanitaire ne va pas se reproduire. Pour moi, le vrai secret des très bons RH est de réfléchir en tiers temps (1-1-1) :
- Le premier tiers temps pour l’entreprise : réaliser ses tâches quotidiennes et faire en sorte que le travail opérationnel soit fait.
- Le deuxième tiers temps pour la formation, la montée en compétences et la préparation tant émotionnelle que physique des personnes.
- Le troisième tiers temps concerne les problématiques de la préservation des employés (qu’a-ton à leur offrir,…)
Ces tiers temps permettent de préserver ses collaborateurs, leur permettre de vivre leur anxiété, leur angoisse tout en se sentant soutenu par l’entreprise, face à leur travail quotidien mais surtout face à une acceptation d’un futur différent.
Comment rassurer ses collaborateurs quant au futur, à la reprise post crise sanitaire ?
Le deuxième et le troisième tiers temps que j’énonçais dans le paragraphe précédent consitent à prendre en considération le bien-être des collaborateurs. On les rassure en leur permettant d’entrevoir un futur en disant : « on ne sait pas de quelle couleur sera le futur mais on vous aide, on vous prépare, à mieux faire face si la situation devait se reproduire ». J’entends préparer les collaborateurs, d’un point de vue compétences techniques : on vous apprend à travailler et on revoit ensemble comment mieux travailler à distance et tous les différents circuits ou points de blocage. L’important est de les rassurer émotionnellement, en mettant en place des politiques ou des programmes d’aide à distance, d’aide à préserver la santé mentale ou simplement permettant de répondre à leurs angoisses. Je pense que ce sont des projets qui seront de plus en plus pris en compte dans les politiques des entreprises.
Pensez-vous que cette pandémie conduira à un changement de culture des personnes en tant qu’individus et des entreprises ? Cela va-t-il générer de nouvelles compétences ?
Le travail à distance pousse les professionnels à remettre en cause leur travail. La première chose à faire est d’observer la réaction des individus. Ensuite il faudra voir comment les entreprises vont appréhender les réactions, s’adapter et se transformer. J’ose espérer que les entreprises vont s’armer et être capables de gérer le distanciel et le présentiel, de façon à les rendre plus simples, plus fluides. Je pense que les modalités de travail vont devenir plus hybrides, on va accepter que le distanciel soit de qualité égale au présentiel.
Ensuite je pense qu’il y aura une prise en compte plus importante du côté sentimental et de l’individu dans son entièreté, aussi bien sa spiritualité que sa santé et son bien-être.
Enfin, les individus devraient repenser la valeur du travail et leurs valeurs individuelles. Est-ce que ce que je fais a du sens, a un impact ? Beaucoup d’entreprises vont devoir penser ou repenser leur système de valeurs également, ou une partie, avec tout ce qui s’en suit : communication, recrutement, marque employeur.
Il y a des personnes qui vont être plus à même de travailler à distance ou non. Il sera intéressant de voir qui sera capable de mieux travailler à distance, mieux travailler en autonomie. En termes de compétences, je pense que de nouvelles compétences techniques vont émerger, mais surtout qu’il va y avoir un enrichissement des compétences techniques actuelles. Par la suite, beaucoup de choses vont s’accélérer notamment en termes de résilience et d’autonomisation des personnes. Le grand changement à venir s’effectuera plutôt au niveau des soft skills, voir de l’hybridation des compétences.
Pour conclure je dirais que cette crise nous confronte à certaines craintes, en tant qu’individus mais aussi en tant que professionnels. Quand on voit les différents systèmes, comme par exemple les Etats-Unis, où le taux de chômage est énorme, on a peur de cette image envoyée et on se remet en question. A quoi je sers et comment je peux aider. Il sera donc intéressant de voir le changement des entreprises de part le changement des individus. Va t’il y avoir un changement de comportement et de compétences des individus et cela aura-t il un impact sur le long terme sur la stratégie des entreprises ?
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