PM², la méthode de gestion de projet développée par la commission européenne, a été largement adoptée par le ministère de la défense. Découvrez dans cette interview de Stéphane Foltzer, directeur de l’académie du numérique de la défense, comment l’ADN a adapté la méthodologie aux besoins de la fonction publique.
Quel est votre rôle ? Vos missions
Je suis directeur de l’académie du numérique de la défense (ADN), depuis sa création en 2020 par la ministre des Armées.
L’ADN couvre 3 missions principales :
- Soutenir l’accélération de la transformation numérique du ministère des armées ;
- Contribuer au renforcement de l’attractivité et la fidélisation de la famille professionnelle SIC (systèmes d’informations et de communication) ;
- Augmenter les capacités et la qualité des formations aux SIC et au numérique.
Pour atteindre ces objectifs, l’ADN intervient sur 3 domaines d’action prioritaires :
- Acculturation au numérique (montée en compétences sur les outils collaboratifs, la bureautique et autres outils plus spécifiques);
- Formation technique aux systèmes d’information et de communication (SIC) ;
- Innovation pédagogique avec le digital.
L’académie du numérique de la défense s’appuie sur le digital pour améliorer la qualité des formations. Notamment depuis l’ère COVID, les enjeux de la transformation digitale sont non seulement importants mais cruciaux pour le ministère des Armées. Aujourd’hui plus que jamais le personnel a besoin d’être formé mais formé autrement.
La digitalisation permet de répondre à des besoins massifs et favorise la création de formations attractives et performantes. L’ADN a donc développé une approche holistique de la formation, qui s’inscrit dans un continuum d’apprentissage du numérique au service d’une administration apprenante.
Le but de cette approche est de sortir du canevas habituel des formations théoriques de 3/5 jours, au profit d’une réelle professionnalisation des agents, sur plusieurs mois. Ce continuum va essayer de couvrir tout le spectre de l’apprentissage continu d’un agent, tout au long de sa carrière, allant de la veille d’information, la proposition de formations pertinentes, jusqu’au développement de formations et parcours qui n’existent pas encore. Nous avons par exemple récemment créé un parcours pour chefs de projet de bout en bout, qui dure 3 mois, à raison de 3 demi-journées par semaine.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce parcours en gestion de projet ? A quels besoins répond-il ? Quels sont les principaux défis auxquels vous devez faire face ?
L’ADN a conçu et elle anime, en lien avec la Direction interministérielle du numérique (DINUM), un parcours de reskilling d’agents publics en chefs de projet numérique, cofinancé par le « Plan France relance » et « NextGenerationEU ».
Il consiste à professionnaliser les acteurs impliqués dans des projets numériques, afin de sécuriser la conduite des projets qui leurs sont confiés et d’en optimiser la performance. Les former à une méthodologie de gestion de projet constituait l’un des éléments indispensables pour y parvenir.
Au lieu de suivre une formation théorique sur PM², la méthode de gestion de projet développée par la commission européenne, l’ADN a développé un parcours de chef de projet de bout en bout. Il est composé de formats hybrides et de différentes thématiques complémentaires pour le chef de projet (mode projet en général, les méthodes traditionnelles versus agiles, l’actualité du numérique, la sécurité informatique,…)
Comment avez-vous connu PM² ?
J’ai découvert PM² en faisant des recherches sur Internet, puis j’ai rapidement été convaincu de l’opportunité de la retenir en échangeant avec l’équipe du Centre of Excellence in PM² (COEPM2) qui l’a développée et la diffuse.
Il existe plusieurs méthodologies de gestion de projet. Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir PM² comme méthodologie de gestion de projet ?
1. Une méthodologie open source
Les apprenants relevant de tous les ministères français, nous souhaitions nous appuyer sur une méthodologie ouverte, afin que chacun puisse l’adapter, si besoin, à son environnement sans restriction juridique.
La licence « creative commons » de la méthode PM² est pour nous une des clés de réussite pour parvenir à une culture partagée du mode projet public.
2. Une méthode concrète et outillée
La variété et la qualité des ressources pédagogiques produites par le COEPM2 nous a permis de lancer très rapidement un premier parcours pilote, en minimisant le travail de création des présentations, tout en étant rassurés sur la pertinence du contenu, déjà largement éprouvé.
Nous voulions également pouvoir diffuser largement la méthodologie retenue, au sein d’une communauté apprenante, pour parvenir progressivement à une culture partagée autour du mode projet, au-delà du parcours initial.
3. Une méthode légère et pratique
La sobriété du contenu (une centaine de pages pour le guide central) nous a aussi fortement intéressés, car le temps disponible pour l’enseigner était contraint.
Ce que l’équilibre entre théorie et pratique a encore renforcé, puisque qu’avec PM² on ne dispose pas seulement de concepts théoriques, mais également de nombreux modèles de documents prêts à l’emploi.
4. Une méthode éthique, adaptée à la fonction publique
La dimension humaine et éthique de la méthodologie était par ailleurs parfaitement alignée sur les valeurs de la fonction publique et des projets qu’elle est appelée à mener.
5. Une certification officielle
Enfin, l’existence d’une certification officielle constituait un vrai plus pour la reconnaissance de la professionnalisation de nos apprenants.
Les projets dans le secteur publique sont souvent complexes et assez conséquents. Le fait que PM² est une méthode légère n’est-il pas un problème ?
Non. PM² est inspiré de l’environnement public, elle partage l’ADN des projets publics même si elle est tout aussi bien compatible avec le secteur privé. L’inverse ne serait pas aussi évident, mais là on retrouve cette compatibilité intrinsèque de la méthode, avec les projets publics.
Il est tout à fait possible, sur des projets complexe, de décider que la méthode générale est PM² et sur les parties où il manquerait potentiellement des éléments, par exemple dans la phase d’exécution où là on peut contextualiser beaucoup plus que PM² le fait (puisque c’est une méthode générique), on peut très bien laisser le maître d’œuvre ou prestataire proposer des éléments/une méthodologie complémentaire. Le cadre reste le même, les documents, les revues de jalons aussi. C’est d’ailleurs l’avantage d’une méthode légère. Elle installe un cadre prédéfini, connu de tous et facilite l’adaptation au contexte et à l’environnement du projet. On peut la simplifier ou l’étoffer au besoin et cette flexibilité est une vraie force dans un contexte public.
Comment avez-vous adapté PM² à votre environnement ?
Dans un premier temps, nous avons développé un parcours destiné aux chefs de projet numérique en poste dans les DSI du ministère des Armées, rapidement étendu à l’interministériel.
Compte tenu de la forte demande qu’il a suscitée, le parcours de formation a ensuite été étoffé avec un deuxième cursus, plus fonctionnel, orienté vers les directions métiers, mais tous incluent la méthode PM² de manière identique, de façon à avoir un socle de compétences en commun pour bien dialoguer.
Au niveau de l’adaptation, nous avons dans un premier temps traduit en français les différentes ressources créées par le COEPM2 qui ne l’étaient pas encore : le guide agile, la majorité des artefacts, les supports de formation, le module e-learning « C1 ».
Dans un esprit de contribution publique à une dynamique européenne, nous avons naturellement reversé l’ensemble de ces produits à la communauté européenne qui se développe autour de PM².
Nous avons ensuite traduit l’examen de certification conçu par le COEPM2 et l’avons déployé sur notre plateforme numérique.
A présent, nous travaillons à la création d’un jeu collaboratif pour apprendre PM² de manière ludique, notamment comme ice-breaker introductif à une classe virtuelle.
Nous allons également dans les prochaines semaines produire des capsules de micro-learning qui viendront compléter les modules « C1 » (guide initial) et « A1 » (extension agile) existants, afin de pouvoir passer à l’échelle de manière encore plus massive la diffusion de la culture du mode projet.
Le parcours de formation se décline actuellement comme suit :
- 1 demi-journée en classe virtuelle d’introduction à la gestion de projet
- 4 demi-journées en classe virtuelle sur la méthode PM²
- 2 modules e-learning complémentaires (C1 et A1)
- 30 classes virtuelles complémentaires
- 1 journée en présentiel de serious game
- 1 journée en présentiel dédiée à la mise en application de la méthode, basée sur une étude de cas, qui permet de voir les différents modèles de documents, les artefacts,…
Pour accéder au parcours de formation, chaque participant doit avoir comme seul prérequis de se voir confié un projet à la fin de son apprentissage, afin de mettre en pratique les connaissances acquises et de contribuer concrètement à la sécurisation des projets numériques publics.
Comment la méthode vous a aidé dans la gestion de vos projets ?
Il est encore tôt pour faire un retour puisque nous avons commencé les parcours de formations il y a un peu plus d’un an maintenant. Nous attendons les retours d’expérience des premières promotions. L’idée est de voir comment le parcours dans sa globalité, pas uniquement PM², répond aux attentes. C’est-à-dire, a-t-on vraiment amélioré la professionnalisation des agents ? C’est une question qui sera posée aussi bien aux apprenants qu’à leurs employeurs.
La filière interministérielle a été intégrée au projet et les agents sont susceptibles de travailler depuis des ministères différents. PM² a l’avantage d’être compatible avec tout ce qui existe déjà et propose une méthode simple, qui permet aux ministères qui n’ont pas de méthode d’en apprendre une et à ceux qui utilisent déjà d’autres méthodes, de les combiner.
De plus, l’extension Agile de PM² a permis d’apporter un peu de variété dans la méthodologie, qui ouvre d’autant plus les champs du possible.
PM² permet d’apporter et de partager une culture commune du mode projet en général mais également une méthode outillée (modèles de documents, check-lists,…), concrète et très pratique. Elle permet de conforter l’objectif in fine qui est de diffuser une culture de la gestion de projet, au sein de la sphère publique.
Avez-vous d’autres pistes d’amélioration continue en cours ?
L’ADN a pour projet de développer une communauté apprenante autour de PM² ouverte à tout agent public. En effet, une fois les connaissances théoriques acquises, il n’est pas rare de rencontrer des difficultés lors de la mise en œuvre des connaissances dans la pratique. Il est alors intéressant de pouvoir discuter avec d’autres personnes qui ont été formées à la même méthode et qui rencontrent les mêmes difficultés, de partager des documents, des retours d’expérience, de se rencontrer lors d’évènements présentiels ou à distance.
Parfois, lorsqu’on n’a pas accès immédiatement à une formation formelle, disposer de contenus pédagogiques de qualité constitue une opportunité de s’autoformer, sans être totalement isolé. Ce sera la seconde raison d’être de cette communauté PM².
Enfin, un podcast viendra compléter ces ressources afin de partager des témoignages de professionnels du mode projet, de faire connaître des pratiques qui fonctionnent bien au quotidien ou bien encore des moyens de développer certaines compétences.
Pouvez-vous nous citer trois concepts que vous aimeriez développer dans un avenir proche ?
- Expérience immersive : comment intégrer les différentes technologies, techniques modernes (lunette 3D, serious game, jeu collaboratif, ateliers pratiques en mode projet, idéation, design thinking) pour rendre la formation attractive et performante.
- Apprendre à apprendre : comment nos agents publics peuvent-ils changer leur rapport à l’apprentissage, pour être plus acteurs de leur formation et maîtriser les outils pour apprendre mieux et plus facilement.
- Hybridation de la formation : comment insérer des capsules e-learning en amont des classes virtuelles de sorte à créer des formations inversées et profiter du mode synchrone pour corriger des exercices, faire des activités en sous-groupe,…